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LES ROUGON-MACQUART.

gote noire, très brun de peau, le visage autoritaire et correct.

— Le mari ! murmura la Levaque, baissant la voix comme s’il avait pu l’entendre, saisie de la crainte hiérarchique que le directeur inspirait à ses dix mille ouvriers. C’est pourtant vrai qu’il a une tête de cocu, cet homme !

Maintenant, le coron entier était dehors. La curiosité des femmes montait, les groupes se rapprochaient, se fondaient en une foule ; tandis que des bandes de marmaille mal mouchée traînaient sur les trottoirs, bouche béante. On vit un instant la tête pâle de l’instituteur qui se haussait, lui aussi, derrière la haie de l’école. Au milieu des jardins, l’homme en train de bêcher restait le pied sur sa bêche, les yeux arrondis. Et le murmure des commérages s’enflait peu à peu avec un bruit de crécelles, pareil à un coup de vent dans des feuilles sèches.

C’était surtout devant la porte de la Levaque que le rassemblement avait grossi. Deux femmes s’étaient avancées, puis dix, puis vingt. Prudemment, la Pierronne se taisait, à présent qu’il y avait trop d’oreilles. La Maheude, une des plus raisonnables, se contentait aussi de regarder ; et, pour calmer Estelle réveillée et hurlant, elle avait tranquillement sorti au grand jour sa mamelle de bonne bête nourricière, qui pendait, roulante, comme allongée par la source continue de son lait. Quand M. Hennebeau eut fait asseoir les dames au fond de la voiture, qui fila du côté de Marchiennes, il y eut une explosion dernière de voix bavardes, toutes les femmes gesticulaient, se parlaient dans le visage, au milieu d’un tumulte de fourmilière en révolution.

Mais trois heures sonnèrent. Les ouvriers de la coupe à terre étaient partis, Bouteloup et les autres. Brusquement, au détour de l’église, parurent les premiers charbonniers qui revenaient de la fosse, le visage noir, les