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GERMINAL.

rideau de peupliers malingres, les seuls arbres de ces terrains plats, se trouvait un groupe de constructions isolées, des maisons quatre par quatre, entourées de leurs jardins. Comme la Compagnie réservait aux porions ce nouvel essai, les ouvriers avaient surnommé ce coin du hameau le coron des Bas-de-Soie ; de même qu’ils appelaient leur propre coron Paie-tes-Dettes, par une ironie bonne enfant de leur misère.

— Ouf ! nous y voilà, dit la Maheude chargée de paquets, en poussant chez eux Lénore et Henri, boueux, les jambes mortes.

Devant le feu, Estelle hurlait, bercée dans les bras d’Alzire. Celle-ci, n’ayant plus de sucre, ne sachant comment la faire taire, s’était décidée à feindre de lui donner le sein. Ce simulacre, souvent, réussissait. Mais, cette fois, elle avait beau écarter sa robe, lui coller la bouche sur sa poitrine maigre d’infirme de huit ans, l’enfant s’enrageait de mordre la peau et de n’en rien tirer.

— Passe-la-moi, cria la mère, dès qu’elle se trouva débarrassée. Elle ne nous laissera pas dire un mot.

Lorsqu’elle eut sorti de son corsage un sein lourd comme une outre, et que la braillarde se fut pendue au goulot, brusquement muette, on put enfin causer. Du reste, tout allait bien, la petite ménagère avait entretenu le feu, balayé, rangé la salle. Et, dans le silence, on entendait en haut ronfler le grand-père, du même ronflement rythmé, qui ne s’était pas arrêté un instant.

— En voilà des choses ! murmura Alzire, en souriant aux provisions. Si tu veux, maman, je ferai la soupe.

La table était encombrée : un paquet de vêtements, deux pains, des pommes de terre, du beurre, du café, de la chicorée et une demi-livre de fromage de cochon.

— Oh ! la soupe ! dit la Maheude d’un air de fatigue, il faudrait aller cueillir de l’oseille et arracher des poi-