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LES ROUGON-MACQUART.

doute rien… Le mieux encore, n’est-ce pas ? monsieur et madame, c’est de tâcher de faire honnêtement ses affaires, dans l’endroit où le bon Dieu vous a mis.

M. Grégoire l’approuva beaucoup.

— Avec de tels sentiments, ma brave femme, on est au-dessus de l’infortune.

Honorine et Mélanie apportaient enfin le paquet. Ce fut Cécile qui le déballa et qui sortit les deux robes. Elle y joignit des fichus, même des bas et des mitaines. Tout cela irait à merveille, elle se hâtait, faisait envelopper par les bonnes les vêtements choisis ; car sa maîtresse de piano venait d’arriver, et elle poussait la mère et les enfants vers la porte.

— Nous sommes bien à court, bégaya la Maheude, si nous avions une pièce de cent sous seulement…

La phrase s’étrangla, car les Maheu étaient fiers et ne mendiaient point. Cécile, inquiète, regarda son père ; mais celui-ci refusa nettement, d’un air de devoir.

— Non, ce n’est pas dans nos habitudes. Nous ne pouvons pas.

Alors, la jeune fille, émue de la figure bouleversée de la mère, voulut combler les enfants. Ils regardaient toujours fixement la brioche, elle en coupa deux parts, qu’elle leur distribua.

— Tenez ! c’est pour vous.

Puis elle les reprit, demanda un vieux journal.

— Attendez, vous partagerez avec vos frères et vos sœurs.

Et, sous les regards attendris de ses parents, elle acheva de les pousser dehors. Les pauvres mioches, qui n’avaient pas de pain, s’en allèrent, en tenant cette brioche respectueusement, dans leurs menottes gourdes de froid.

La Maheude tirait ses enfants sur le pavé, ne voyait plus ni les champs déserts, ni la boue noire, ni le grand ciel livide qui tournait. Lorsqu’elle retraversa Montsou,