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LES ROUGON-MACQUART.

j’ai accouché la seconde fois, parce que, paraît-il, ça me dérangeait des choses dans les os. D’ailleurs, c’est à ce moment que je me suis mariée, et j’avais assez de besogne à la maison… Mais, du côté de mon mari, voyez-vous, ils sont là-dedans depuis des éternités. Ça remonte au grand-père du grand-père, enfin on ne sait pas, tout au commencement, quand on a donné le premier coup de pioche là-bas, à Réquillart.

Rêveur, M. Grégoire regardait cette femme et ces enfants pitoyables, avec leur chair de cire, leurs cheveux décolorés, la dégénérescence qui les rapetissait, rongés d’anémie, d’une laideur triste de meurt-de-faim. Un nouveau silence s’était fait, on n’entendait plus que la houille brûler en lâchant un jet de gaz. La salle moite avait cet air alourdi de bien-être, dont s’endorment les coins de bonheur bourgeois.

— Que fait-elle donc ? s’écria Cécile, impatientée. Mélanie, monte lui dire que le paquet est en bas de l’armoire, à gauche.

Cependant, M. Grégoire acheva tout haut les réflexions que lui inspirait la vue de ces affamés.

— On a du mal en ce monde, c’est bien vrai ; mais, ma brave femme, il faut dire aussi que les ouvriers ne sont guère sages… Ainsi, au lieu de mettre des sous de côté comme nos paysans, les mineurs boivent, font des dettes, finissent par n’avoir plus de quoi nourrir leur famille.

— Monsieur a raison, répondit posément la Maheude. On n’est pas toujours dans la bonne route. C’est ce que je répète aux vauriens, quand ils se plaignent… Moi, je suis bien tombée, mon mari ne boit pas. Tout de même, les dimanches de noce, il en prend des fois de trop ; mais ça ne va jamais plus loin. La chose est d’autant plus gentille de sa part, qu’avant notre mariage, il buvait en vrai cochon, sauf votre respect… Et voyez, pourtant, ça ne nous avance pas à grand’chose, qu’il soit raisonnable.