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LES ROUGON-MACQUART.

brunes, sans la mâture d’un arbre, jusqu’à la ligne violâtre de la forêt de Vandame.

— Porte-moi, maman.

Elle les porta l’un après l’autre. Des flaques trouaient la chaussée, elle se retroussait, avec la peur d’arriver trop sale. Trois fois, elle faillit tomber, tant ce sacré pavé était gras. Et, comme ils débouchaient enfin devant le perron, deux chiens énormes se jetèrent sur eux, en aboyant si fort que les petits hurlaient de peur. Il avait fallu que le cocher prît un fouet.

— Laissez vos sabots, entrez, répétait Honorine.

Dans la salle à manger, la mère et les enfants se tinrent immobiles, étourdis par la brusque chaleur, très gênés des regards de ce vieux monsieur et de cette vieille dame, qui s’allongeaient dans leurs fauteuils.

— Ma fille, dit cette dernière, remplis ton petit office.

Les Grégoire chargeaient Cécile de leurs aumônes. Cela rentrait dans leur idée d’une belle éducation. Il fallait être charitable, ils disaient eux-mêmes que leur maison était la maison du bon Dieu. Du reste, ils se flattaient de faire la charité avec intelligence, travaillés de la continuelle crainte d’être trompés et d’encourager le vice. Ainsi, ils ne donnaient jamais d’argent, jamais pas dix sous, pas deux sous, car c’était un fait connu, dès qu’un pauvre avait deux sous, il les buvait. Leurs aumônes étaient donc toujours en nature, surtout en vêtements chauds, distribués pendant l’hiver aux enfants indigents.

— Oh ! les pauvres mignons ! s’écria Cécile, sont-ils pâlots d’être allés au froid !… Honorine, va donc chercher le paquet, dans l’armoire.

Les bonnes, elles aussi, regardaient ces misérables, avec l’apitoyement et la pointe d’inquiétude de filles qui n’étaient pas en peine de leur dîner. Pendant que la femme de chambre montait, la cuisinière s’oubliait, re-