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Lepailleur étaient installés là. Le dernier, François Lepailleur, un garçon qui croyait ne pas être une bête, avait rapporté du service militaire, au retour du régiment, le dégoût du travail, l’idée que ce ne serait pas son moulin qui l’enrichirait, pas plus qu’il n’avait enrichi son père ni son grand-père. L’idée lui était venue alors d’épouser la fille aînée d’un cultivateur, Victoire Cornu, qui avait en dot quelques champs voisins, le long de l’Yeuse. De sorte que le jeune ménage vivait relativement à l’aise, du produit de ces champs et du peu de blé que les paysans d’alentour apportaient encore au vieux moulin. Sans doute aurait-ce pu être la fortune, si le mécanisme trop ancien, mal réparé, avait fait place à tout un système nouveau, et si les quelques champs, au lieu d’être appauvris selon l’antique routine, étaient tombés entre les mains d’un homme d’intelligence et de progrès. Mais Lepailleur, au dégoût du travail, ajoutait le mépris de la terre. Il était le paysan las de l’éternelle maîtresse, que ses pères ont trop aimée, qui a fini lui-même par l’exécrer, pour toute l’effroyable peine qu’ils ont prise à la féconder, sans que jamais elle les ait faits riches et heureux. Il n’avait plus foi en elle, il l’accusait furieusement de n’être plus fertile, usée, méchante, pareille aux vieilles vaches qu’on envoie à l’abattoir. Et c’était, selon lui, la banqueroute de tout, du sol qui mangeait les graines, du ciel qui se détraquait, des saisons qui cessaient de venir dans leur ordre naturel, enfin tout un désastre prémédité, réalisé par quelque puissance mauvaise, contre les paysans, assez bêtes pour toujours donner inutilement à la marâtre leur sueur et leur sang.

— Imagine-toi, reprit Marianne, que cette Lepailleur était avec son petit Antonin, un bout d’homme de trois ans, et que, lorsque je lui ai demandé à quand les autres, elle s’est récriée, en disant que les autres resteraient pour sûr où ils étaient. Une jeune femme qui n’a guère plus