Page:Zola - Fécondité.djvu/83

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

braisillantes, au milieu de la rumeur de la foule et du grondement des roues, comme une mer commune dans laquelle tous allaient se perdre bientôt, la nuit qui les attendait, le lit où seraient couchés, l’étreinte finale où tous s’endormiraient.

Mathieu s’était remis à marcher, cédant au courant, emporté avec les autres, dans la même fièvre chaude, faite des excitations de la journée, des mœurs et du milieu social. Et ce n’était plus seulement les Beauchêne, les Morange, les Séguin qui fraudaient : Paris entier frauderait avec eux. L’abstention réfléchie, érigée en loi, gagnait la foule, s’élargissait, envahissait les boulevards, les rues voisines, les quartiers, l’immense ville. Dès que la nuit tombait, le pavé brûlant de Paris, chauffé par la lutte féroce, par l’âpre besogne du jour, n’était plus que le champ pierreux, la terre calcinée, où la semence se desséchait, jetée au hasard de la rue, en haine de la moisson. Cette infécondité volontaire, tout l’expliquait, la clamait, l’affichait avec une impudence triomphale. Un souffle d’alcool sortait des restaurants et des cafés, émasculait les hommes, détraquait les femmes, empoisonnait l’enfant dans l’œuf. Les filles, qui traînaient leurs jupes, en continuels coups de vent, n’ayant que le souci de mettre les bouchées doubles, celui-ci, puis celui-là, puis cet autre, vidaient en hâte leurs seaux de toilette, de la vie souillée, gâchée, qui s’en allait au cloaque. Tout le train du trottoir, tout ce que le désir d’une heure ramassait de prostituées, dans les lieux de plaisir, à la sortie des spectacles, toute la chair qui se raccroche et qui se paye, qui va s’assouvir au galop dans le satin du vice élégant ou dans l’ordure des chambres louches, assassinait la vie, la crachait ignoblement à la boue du ruisseau. Et il n’était pas d’enseignement plus universel des fraudes, la prostitution était l’institutrice du meurtre, les germes poursuivis et détruits, l’habitude prise de les écraser