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leur honnêteté, leur bonté naturelles, dans cette démence d’ambitieux orgueil. Et, à cette heure, il le voyait, ce ménage, se couchant tôt, car il n’ignorait pas les habitudes casanières de Morange, ni les avarices résignées de Valérie, qui économisait jusque sur l’huile à brûler, en semaine, pour se permettre des sorties princières, le dimanche ; il le voyait au lit, la lumière soufflée, se prenant tendrement, se gardant dans une étreinte, en bon ménage qui s’adore, mais qui veille avec terreur sur les conséquences d’un oubli toujours possible : l’enfant est là aussi redouté que dans la couche du patron, rebelle au partage, l’enfant dont la venue serait un embarras mortel, retarderait, empêcherait l’ascension vers la fortune tant désirée. Il faut frauder, frauder encore, le joujou infécond des époux fidèles, bien décidés à se contenter des caresses sans péril, puis très inquiets parfois à la suite d’une imprudence, comptant les jours, attendant l’époque qui doit les rassurer pleinement. Dans sa chambre, à l’autre bout de l’appartement, Reine non plus ne dormait pas, toute frémissante de la matinée où l’avait conduite la baronne de Lowicz, énervée, excitée par cette belle dame qui l’embrassait, rêvant déjà au mari très riche que lui promettaient ses parents, s’ils ne lui donnaient pas un petit frère ou une petite sœur.

Un attroupement barra le passage à Mathieu, et il s’aperçut qu’il était devant le théâtre où avait lieu, ce soir-là, une première. C’était un théâtre de libres farces, qui se permettait d’afficher son étoile, une longue fille rousse, dont il collait l’image sur les murs, deux fois grande comme nature ; et, cette fois, elle était d’un symbolisme extraordinaire, la vierge nue et plate de l’érotisme stérile, un grand lis pervers et canaille, qui attroupait les passants. Il entendit des réflexions immondes, il se rappela que les Séguin, en compagnie de Santerre, se trouvaient