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Elle dit à son père qu’elle va au théâtre avec une amie. Alors, ça lui donne jusqu’à une heure du matin.

Mathieu se trouva seul, au bord du trottoir. Les dernières paroles du patron, qu’il vit disparaître avec Norine, sous une porte cochère, avaient évoqué en lui l’image de Moineaud, l’ouvrier ; et il le revoyait, les mains crevassées par le travail, muet et insouciant dans l’atelier des femmes, pendant la semonce à sa fille Euphrasie, tandis que l’autre, la grande diablesse blonde, riait sournoisement. Quand les enfants du pauvre ont poussé, de la chair à bataille ou à prostitution, le père, alourdi de vie mauvaise, ne s’inquiète guère à quel désastre le vent emporte les petits tombés du nid.

Neuf heures et demie sonnaient, Mathieu avait plus d’une heure pour se rendre à la gare du Nord. Aussi ne se pressa-t-il pas, flânant, suivant en promeneur la ligne des boulevards. Il avait lui-même beaucoup trop mangé et trop bu, les confidences qu’il venait de recevoir bourdonnaient à ses oreilles, achevaient de l’étourdir d’une sourde ivresse. Ses mains brûlaient, des flammes passaient sur sa face. Et quelle soirée tiède, le long de ces boulevards incendiés par les lampes électriques, enfiévrés par la cohue pullulante de la foule qui se coudoyait, au milieu du grondement ininterrompu des fiacres et des omnibus ! C’était comme un fleuve de vie ardente qui coulait à la nuit prochaine, et il se laissait emporter, charrier, parmi ce souffle humain, dont il sentait passer sur lui le chaud désir.

Alors, dans sa rêverie trouble, sa journée recommença, il se retrouva d’abord chez les Beauchêne, le matin. Le père et la mère s’entendaient comme des complices sages, pendant que leur petit Maurice, le fils unique, si pâlot, sommeillait sur le canapé, pareil à un Jésus de cire. Et, maintenant, il voyait Constance se couchant bourgeoisement, après être allée border l’enfant endormi, puis