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vivre, vivant toujours par leurs enfants, unis à jamais, immortels dans leur race ?

« Père bien-aimé, mère adorée, répéta Benjamin, c’est moi qui demain serai mort, si je ne pars pas. Attendre votre fin, grand Dieu ! ne serait-ce pas la vouloir ? Il faut que longtemps encore que vous viviez, et je veux vivre comme vous. »

Il y eut un nouveau silence, puis Mathieu et Marianne dirent ensemble :

« Pars donc, mon enfant. C’est juste, il faut vivre. »

Mais, le jour des adieux, quel déchirement, quelle douleur dernière à s’arracher cette chair encore, tout ce qui leur restait d’eux-mêmes, pour en faire à la vie le suprême cadeau ! C’était le départ de Nicolas qui recommençait, le jamais plus de l’enfant migrateur, envolé, donné au vent qui passe, pour l’ensemencement des terres ignorées et lointaines, par-dessus les frontières.

« Jamais plus ! » cria Mathieu en larmes.

Et Marianne répéta, dans le grand sanglot monté de ses flancs :

« Jamais plus, jamais plus ! »

Maintenant, ce n’était pas seulement la famille accrue, la patrie refaite, la France repeuplée pour les luttes futures, c’était encore l’humanité élargie, les déserts défrichés, la terre peuplée entièrement. Après la patrie, la terre. Après la famille, la nation, puis l’humanité. Et quel coup d’ailes envahisseur, quelle brusque ouverture sur l’immensité du monde ! Toute la fraîcheur des océans, toutes les senteurs des continents vierges, arrivaient en une haleine géante, comme une brise du large. À peine quinze cents millions d’âmes, aujourd’hui par les quelques champs cultivés du globe, n’est-ce pas misérable, lorsque le globe, ouvert tout entier à coups de charrue, devrait en nourrir dix fois davantage ? Quel étroit horizon que de vouloir borner l’humanité vivante