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Alors, la vie exigea un dernier héroïsme de Mathieu et de Marianne. Un mois plus tard, lorsque Dominique fut sur le point de retourner au Soudan, Benjamin leur dit un soir sa passion, l’appel irrésistible, venu de la plaine inconnue et lointaine, auquel il obéissait.

« Père bien-aimé, mère adorée, laissez-moi partir avec Dominique… J’ai lutté, je me fais horreur de vous quitter ainsi, à votre âge. Mais je souffre trop, mon âme éclate, pleine d’infini ; et je mourrai d’oisiveté honteuse, si je ne pars pas. »

Ils l’écoutaient, le cœur brisé. Ces paroles ne les surprenaient point, ils les entendaient venir, depuis le renouveau de leurs noces. Et ils tremblaient, ils sentaient bien qu’ils ne pourraient refuser car ils se savaient coupables d’avoir gardé ce dernier enfant au nid familial, après avoir donné les autres. Ah ! l’insatiable vie qui ne leur permettait pas cette avarice tardive, qui exigeait jusqu’au cher trésor caché discrètement, dont leur égoïsme jaloux rêvait de ne se séparer qu’au seuil de la tombe !

Un grand silence régna, et Mathieu répondit enfin, d’une voix lente :

« Mon enfant, je ne puis te retenir. Va donc où l’existence t’appelle… Si je savais devoir mourir ce soir, je te dirais d’attendre demain. »

À son tour, Marianne dit doucement :

« Pourquoi ne mourons-nous pas tout de suite ?… Nous n’aurions pas cette dernière souffrance et tu n’emporterais que notre souvenir. »

Une fois encore, le cimetière de Janville s’évoquait, le champ de paix ou dormaient déjà des êtres chers, où bientôt eux-mêmes iraient les rejoindre. Cette pensée était sans tristesse, ils espéraient s’y coucher ensemble, le même jour, car ils ne pouvaient concevoir la vie l’un sans l’autre. Et, d’ailleurs, ne continueraient-ils pas à