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À cette heure dernière, dans le soir resplendissant, Mathieu et Marianne régnaient par leur race nombreuse. Un mouvement héroïque, admirable, les avait emportés à cette royauté. Ils finissaient en héros de la vie, vieillards augustes, parce qu’ils avaient beaucoup enfanté, beaucoup créé d’êtres et de choses. Et cela au milieu des batailles, dans le travail, dans la douleur. Souvent, ils avaient sangloté. Puis, avec l’âge extrême, la paix était venue, la grande paix souriante, faite des bonnes besognes accomplies, de la bonne certitude du sommeil prochain, tandis que leurs enfants, les enfants de leurs enfants, autour d’eux, recommençaient la lutte, travaillaient et souffraient, vivaient à leur tour. Et, dans leur grandeur de héros il y avait aussi tout le désir dont ils avaient brûlé, le divin désir, fabricateur et régulateur du monde, qui les avait visités en coups de flamme, à chacun de leurs enfantements nouveaux. Ils étaient comme le temple sacré que le dieu avait habité constamment, ils s’étaient aimés du feu inextinguible dont l’univers brûle, pour la continuelle création. Leur beauté rayonnante, sous les cheveux blancs, venait de cette lumière dont leurs yeux restaient pleins, de cette puissance d’aimer, que l’âge n’avait pu éteindre. Sans doute, comme ils le disaient en plaisantant autrefois, ils avaient dépassé toute mesure, dans leur imprévoyance à faire des enfants, scandalisant leurs voisins, troublant les mœurs respectées. Mais, définitivement, n’avaient-ils pas eu raison ? Leurs enfants n’avaient rogné la part de personne, chacun avait apporté sa subsistance. Et puis, il est bon de trop moissonner, quand les greniers du pays sont vides. Il en faudrait beaucoup de ces imprévoyants, pour combattre la prudence égoïste des autres, aux heures de grande disette. C’est le bon exemple civique, la race raffermie, la patrie refaite, au milieu des affreux déchets, par la belle folie du nombre, de la prodigalité à pleines mains, saine et joyeuse.