village, si quelque bande de nègres rôdeurs ne nous tue pas et ne nous mange pas auparavant… Ah ! je suis bien tranquille, nous vaincrons comme vous avez vaincu, parce que la folie de l’action est la divine sagesse. Il y aura, là-bas, un autre royaume des Froment, un autre Chantebled immense, dont vous serez tous les deux, grand-mère et vous, les ancêtres, les patriarches lointains qu’on vénérera comme des dieux… Et je bois à votre santé, grand-père, je bois à votre santé, grand-mère, au nom de votre autre peuple futur, poussé gaillardement sous le brûlant soleil des tropiques. »
Mathieu, qui s’était levé, dit d’une voix forte, dans une émotion profonde :
« À ta santé ! mon garçon. À la santé de mon fils Nicolas, de sa femme Lisbeth, et de tous ceux qui sont nés de leur amour ! À la santé de tous ceux qui en naîtront demain, de génération en génération ! »
Et Marianne, qui s’était levée elle aussi, dit à son tour :
« À la santé de vos femmes et de vos filles, de vos épouses et de vos mères ! À la santé de celles qui aimeront, qui enfanteront, qui créeront le plus de vie pour le plus de bonheur possible. »
Alors, le gala se termina, on quitta la table, toute la famille se répandit librement sur la pelouse. Et il y eut un dernier triomphe autour de Mathieu et de Marianne, que le flot pressé de leurs enfants entourèrent. C’était le flot de la fécondité victorieuse, tout le petit peuple heureux né de leurs flancs qui les assaillait de sa joie, qui les étouffait de ses tendresses. Vingt bras ensemble leur tendaient des enfants, des têtes blondes ou brunes à baiser. Eux, dans leur grand âge, dans l’état divin d’enfance où ils retournaient, ne reconnaissaient pas toujours les gamins ni les gamines. Ils se trompaient, changeaient les noms, prenaient les uns pour les autres. On riait, on