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le seul oisif, le seul infécond. À quarante-trois ans, sans femme, sans enfants, il ne vivait encore que pour l’unique joie du foyer, en camarade de son père, en dévot passionné de sa mère, qui tous deux avaient eu le tendre égoïsme de le garder, le voulant à eux seuls, disant que la vie, à laquelle ils avaient donné tant d’êtres, pouvait bien leur faire le cadeau de celui-ci, le dernier de la couvée. D’abord, ils ne s’étaient point opposés à ce qu’il se mariât ; mais, plus tard, quand ils l’avaient vu hésiter, puis refuser toute femme, après avoir perdu la seule qu’il eût aimée, ils en avaient ressenti une secrète et grande joie. Pourtant, à la longue, des remords inavoués leur étaient venus, dans la félicité qu’ils goûtaient à jouir de sa présence, comme d’un trésor enfoui, dont se délectait leur vieillesse, devenue avaricieuse, au déclin d’une vie de si large prodigalité. Leur Benjamin ne souffrait-il pas d’avoir été ainsi accaparé, enfermé pour leur plaisir, dans les quatre murs de leur maison ? De tout temps, il s’était montré inquiet, rêveur, avec ses beaux yeux qui semblaient sans cesse chercher l’au-delà des choses, le pays ignoré de la satisfaction parfaite, là-bas, derrière l’horizon. Et, maintenant que l’âge venait, qu’il n’était plus jeune, son tourment paraissait s’aggraver, comme s’il se fût désespéré secrètement de ne pouvoir tenter l’inconnu, avant de finir inutile et sans bonheur.

Mais Benjamin livra la porte, Ambroise donna des ordres. Et, dans le soleil, sur la pelouse en fleurs, Mathieu et Marianne apparurent. Une acclamation les accueillit, de bons rires, de tendres battements de mains. La foule gaie et passionnée qui se trouvait là, toute la famille pullulante criait :

« Vive le Père ! vive la Mère !… Longue vie, longue vie au Père et à la Mère ! »

À quatre-vingt-dix ans, Mathieu était resté très droit, très mince, serré dans une redingote noire, ainsi qu’un