riches, étaient assez sages pour ne pas se charger de famille, et c’était lui, le pauvre, qui se mettait des enfants sur les bras, coup sur coup, sans compter. C’était fou. Et un souvenir délicieux lui revenait enfin, la folie de tendresse et d’espoir qui, après tous ces beaux raisonnements, l’avait jeté aux bras de sa Marianne, confiante, vaillante, dans la flamme du souverain désir qui voulait un enfant de plus, un être encore parmi l’éternelle création des êtres.
Puis, après quarante ans, voilà que sa folie était la sagesse. Il avait vaincu par sa divine imprévoyance, c’était le pauvre qui venait de battre les riches, le bon semeur jetant le grain à main pleine, certain de l’avenir, qui récoltait la moisson entière. Et sa journée nouvelle, la bonne journée qu’il vivait depuis le matin, recommençait, déroulait sa victoire. L’usine des Beauchêne, il l’avait aujourd’hui, par son fils Denis, il la revoyait telle qu’une ville en travail, avec le branle de ses machines, les millions accumulés, forgés sur ses enclumes. L’hôtel des Séguin, il l’avait aussi, par son fils Ambroise, plus luxueux encore, enrichi des dépouilles du négoce, aux quatre coins du globe. Le moulin des Lepailleur, il l’avait encore, par son fils Grégoire, décuplé d’importance, d’une prospérité nouvelle, comme un dernier cadeau de la fortune qui va d’elle-même au travail, à l’effort triomphant. Une punition tragique, démesurée, avait emporté les tristes Morange, en une tempête de sang et de démence. D’autres déchets sociaux passaient, étaient roulés au cloaque : Sérafine inutile, foudroyée dans sa jouissance, les Moineaud dispersés, gâtés, anéantis dans l’empoisonnement du milieu. Et lui, Mathieu, restait seul debout, vainqueur avec Marianne, en face de ce domaine de Chantebled, conquis par eux sur les Séguin, où leurs enfants Gervais et Claire régnaient maintenant, prolongeaient la dynastie de leur race. C’était leur royaume, les champs s’élargissaient à