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parurent le décider brusquement aux confidences. Il remit son chapeau, alluma un autre cigare ; et, prenant le jeune homme par le bras, marchant à pas ralentis, au milieu de la cohue ardente et de l’éblouissement nocturne du boulevard :

— Oh ! nous avons le temps, on ne m’attend qu’à neuf heures et demie, et c’est à deux pas… Voulez-vous un cigare ? Non, vous ne fumez jamais.

— Jamais.

— Alors, mon ami, ce serait bête de faire des cachotteries avec vous, puisque vous m’avez vu ce matin. Et c’est stupide ce qui m’arrive, j’en conviens volontiers, car je sais parfaitement, au fond, que ce n’est guère propre ni guère prudent, un patron qui couche avec une de ses ouvrières. Ça tourne toujours très mal, c’est comme ça qu’on perd une maison, et jusqu’à présent, je vous le jure, j’ai été assez malin pour ne pas toucher à une seule. Vous voyez, je ne m’épargne pas les vérités. Mais, que voulez-vous ? cette grande diablesse de fille blonde m’a mis le feu dans le sang, avec les bouts de peau qu’elle montre et sa façon de rire, comme si on la chatouillait toujours.

C’était la première fois qu’il faisait à Mathieu une confidence de ce genre, chaste d’ordinaire en paroles, pareil à ces ivrognes qui évitent de parler du vin. Depuis que celui-ci, en épousant Marianne, était devenu son cousin par alliance, il le savait de vie si réglée, de cœur si fidèle, dans son ménage, qu’il le jugeait sans doute peu préparé à l’écouter et à rire. Enfin, il se risquait, il avait un confident de ses bonnes fortunes ; et il ne le lâchait plus, il le serrait étroitement, en lui contant les choses à l’oreille, d’une voix un peu empâtée, comme si tout le boulevard avait pu l’entendre.

— Ça s’est emmanché, vous vous en doutez bien, sans que je me méfie d’abord. Elle tournait autour de moi,