Page:Zola - Fécondité.djvu/717

Cette page n’a pas encore été corrigée

pas ? j’ai attendu mon premier voyage à Paris, et je viens le remercier de tout mon cœur. »

Elle ne disait pas la façon dont elle avait épousé l’ancien marin, entrée d’abord chez lui comme bonne à tout faire, puis servante maîtresse, ensuite épouse légitime, après la mort de la première femme, dont elle avait hâté la fin. Mais elle le rendait en somme très heureux, elle le débarrassait même de ses fils encombrants, grâce aux belles relations qu’elle avait gardées à Paris. Et elle continuait de rire, en brave femme que les souvenirs attendrissaient.

« Quand je vous ai vu passer tout à l’heure, monsieur Froment, vous n’avez pas idée de mon plaisir. Ah ! c’est qu’il ne date pas d’hier, le jour où j’ai eu l’honneur de vous voir ici pour la première fois !… Vous vous rappelez la Couteau, eh bien ! elle qui se plaignait toujours, elle est maintenant très contente, retirée avec son mari dans une jolie maison à eux, avec de petites économies qu’ils mangent très tranquillement. Elle n’est plus jeune, mais elle en a enterré et elle en enterrera bien d’autres… Tenez ! par exemple, Mme Menoux, vous vous souvenez de Mme Menoux, la mercière d’à côté ? En voilà une qui n’a pas eu de chance ! Elle a perdu son second enfant, elle a perdu son grand gaillard de mari qu’elle adorait, et elle en est morte elle-même de chagrin, en six mois… J’avais un instant fait le projet de l’emmener à Rougemont, où l’air est si bon pour la santé. Nous avons des vieux de quatre-vingt-dix ans. Voyez la Couteau, elle vivra tant qu’elle voudra… Oh ! c’est un pays si agréable, un vrai paradis ! »

Et l’abominable Rougemont, le sanglant Rougemont s’évoqua dans la mémoire de Mathieu, dressant son paisible clocher au milieu de la plaine rase, avec son cimetière pavé de petits Parisiens, qui cachait sous les fleurs sauvages l’affreux charnier de tant d’assassinats.