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Il se tut un instant ; et, continuant sa marche vers l’usine, avec son dos las, ses mains ballantes, crevassées par le travail :

« Au revoir, monsieur Froment.

— Au revoir, Victor. »

Denis, ayant donné les ordres, vint rejoindre son père. Il lui proposa d’aller à pied jusqu’à l’avenue d’Antin, et l’avertit en route qu’ils allaient certainement trouver Ambroise seul, en garçon, car sa femme et les quatre enfants se trouvaient encore, eux aussi, à Dieppe, où les deux belles-sœurs, Andrée et Marthe, avaient passé la saison ensemble.

La fortune d’Ambroise s’était décuplée en dix ans. À quarante-cinq ans à peine, il régnait sur le marché de Paris. La mort de l’oncle du Hordel l’ayant fait héritier et seul maître de la maison de commission, il l’avait élargie par son esprit d’entreprise, l’avait transformée en un véritable comptoir universel, où passaient les marchandises du monde entier. Les frontières n’existaient pas pour lui, il s’enrichissait des dépouilles de la terre, il s’efforçait surtout de tirer des colonies toute la richesse prodigieuse qu’elles pouvaient donner, et cela avec une audace triomphante, une telle sûreté de coup d’œil, au loin, que ses campagnes les plus téméraires finissaient par des victoires. Ce négociant, dont l’activité féconde gagnait des batailles, devait fatalement manger les Séguin, oisifs, impuissants, frappés de stérilité. Et, dans la débâcle de leur fortune, dans la dispersion du ménage et de la famille, il s’était taillé sa part, il avait voulu l’hôtel de l’avenue d’Antin. Séguin ne l’habitait même plus depuis des années, ayant eu l’idée originale de vivre à son cercle, d’y avoir sa chambre, à la suite de la séparation amiable, survenue entre sa femme et lui. Deux des enfants s’en étaient allés, Gaston, aujourd’hui commandant, dans une garnison lointaine Lucie, religieuse,