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n’était-ce pas la fin de tout, la famille entière n’allait-elle pas être gagnée par cette fureur destructive, sombrant sous ce vent de folie et de haine, après tant d’années de belle raison, de belle tendresse saine et forte ?

Mathieu tenta naturellement d’intervenir. Mais, aux premiers mots, il avait senti que, s’il échouait, si son autorité paternelle était méconnue, l’écroulement deviendrait irréparable. Et il attendait, n’ayant point renoncé pour sa part à la lutte, voulant profiter d’une circonstance heureuse. Seulement, chaque jour de discorde qui s’écoulait augmentait son inquiétude. C’était bien toute son œuvre, le petit peuple qu’il avait engendré, le petit royaume qu’il avait fondé, sous le bienveillant soleil, qui était menacé d’une brusque ruine. Une œuvre ne peut vivre que par l’amour, l’amour qui la crée peut seul l’éterniser, elle s’effondre dès que se rompt le lien de solidarité fraternelle. Au lieu de laisser la sienne en pleine floraison de bonté, de joie et de vigueur, il allait la voir par terre, en morceaux, souillée, morte, avant que lui-même fût mort. Et quelle œuvre féconde et prospère jusque-là, ce domaine de Chantebled dont la fertilité débordante grandissait de moisson en moisson, ce moulin lui-même si agrandi, si florissant qui était né de son génie, sans parler des autres fortunes prodigieuses, acquises à Paris, au loin, par les conquérants ses fils ! Et c’était cette œuvre admirable que la foi en la vie avait faite et qu’un attentat fratricide contre la vie allait détruire !

Un soir, par un crépuscule triste des derniers jours de septembre, Marianne fit rouler devant la fenêtre la chaise longue, sur laquelle elle se mourait de silencieux chagrin. Elle était soignée par la seule Charlotte, elle n’avait plus auprès d’elle que son dernier fils Benjamin, dans la maison d’habitation, trop vaste aujourd’hui qui avait remplacé l’ancien pavillon de chasse. Depuis que la