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romantique, perdu dans les lierres, avec son antique roue moussue, n’existait plus. Grégoire, réalisant enfin l’idée de son père, l’avait jeté bas, pour le remplacer par une grande minoterie à vapeur, aux larges dépendances, qu’une voie ferrée reliait à la station de Janville. Et lui-même, en train de gagner une belle fortune, depuis que lui arrivaient tous les blés des environs, s’était singulièrement assagi, gros homme de poids en marche vers la quarantaine, ne gardant de sa turbulente jeunesse que des colères promptes, dont sa femme Thérèse, de cœur tendre et solide, pouvait seule atténuer les éclats. Vingt fois, il avait failli rompre avec son beau-père Lepailleur, qui abusait de ses soixante-dix ans. L’ancien meunier, n’ayant pu empêcher les constructions nouvelles, malgré ses prophéties de ruine certaine, ricanait quand même, déblatérait contre la vaste minoterie florissante, exaspéré d’avoir eu tort. Il était battu une seconde fois : non seulement les prodigieuses moissons de Chantebled démentaient la faillite de la terre, cette gueuse de terre où il prétendait que rien ne poussait plus, en paysan routinier, las de l’effort, avide de fortune prompte, mais encore voilà son moulin, méprisé par lui, traité de carcasse mutile, qui renaissait, devenait géant, dont son gendre finissait par faire un instrument de grande richesse. Et le pis était qu’il s’obstinait à vivre, comme pour assister à sa continuelle défaite, sans jamais vouloir s’avouer vaincu. Une seule joie lui restait, la parole que Grégoire lui avait donnée, et qu’il tenait, de ne pas céder l’enclave à la ferme. Même il avait obtenu de lui qu’elle ne serait pas cultivée. La vue de ces landes, restées stériles coupant d’une bande de désolation le beau domaine verdoyant, le réjouissait dans sa rancune, ainsi qu’un démenti à la fécondité voisine. On le voyait souvent s’y promener, en vieux roi des cailloux et des ronces, l’air content de cette misère du sol, redressant sa