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emportée par son gros chagrin. Était-ce possible, cela ? Tous ces enfants si aimants, si aimés, grandis entre leurs bras, sous leurs caresses, devenus la joie, l’orgueil de leur victoire, tous ces enfants nés de leur amour, unis en leur fidélité, troupe fraternelle et sacrée, serrée autour d’eux, les voilà qui se débandaient, qui s’acharnaient à se déchirer les uns les autres ! On avait donc raison de dire que, plus la famille s’augmente, plus la moisson d’ingratitude est large, et combien était certaine aussi cette vérité qui veut qu’on attende le jour de la mort, avant de décider du bonheur ou du malheur d’une créature !

« Ah ! disait Mathieu, assis près du lit, tenant dans sa main la main fiévreuse de Marianne, avoir tant lutté, avoir tant triomphé, et nous briser contre cette suprême douleur, celle dont nous aurons été le plus meurtris ! Décidément, jusqu’au dernier souffle, il faut se battre, et le bonheur ne se gagne que dans la souffrance et dans les larmes… Il faut espérer encore, il faut lutter encore, et triompher, et vivre ! »

Marianne restait sans courage, comme anéantie désormais.

« Non, je n’ai plus d’énergie, je suis vaincue… Les blessures venues du dehors, je les ai toujours guéries. Mais cette blessure vient de mon sang, c’est en moi que mon sang coule, et il m’étouffe… Toute notre œuvre est détruite. Au dernier jour, notre joie, notre santé, notre force sont des mensonges. »

Et Mathieu, gagné par la crainte douloureuse de ce désastre, allait pleurer dans la pièce voisine, la voyant morte, se voyant seul.

C’était au sujet des landes de Lepailleur, de l’enclave dont elles coupaient le domaine de Chantebled, que la misérable querelle avait éclaté entre le Moulin et la ferme. Il y avait des années déjà que le vieux moulin