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étaient là, qui la soignaient ; et elle ne voulait pas de leurs soins, elle s’entêtait à être morte, à ne plus leur donner un signe de vie. Ni ses paupières ni ses lèvres ne se rouvraient, comme déjà hors du monde, dans la muette agonie de sa défaite.

Ce soir-là, Sérafine était très étrange. Elle empoisonnait l’éther, elle buvait maintenant de l’éther. Lorsqu’elle sut le double accident, la mort de Morange et d’Alexandre, qui avait déterminé la crise cardiaque de Constance, elle eut simplement un petit rictus de détraquée, une sorte de rire involontaire, en disant :

« Tiens ! c’est drôle ! »

Elle s’installa pourtant au fond d’un fauteuil, sans enlever ses gants ni son chapeau. Elle veillait, les yeux ouverts, ses yeux bruns pailletés d’or, les deux seules flammes vivantes qu’elle eût gardées dans l’effroyable massacre de sa beauté ancienne. À soixante-deux ans, elle était une centenaire, sa face insolente comme ravinée par des orages, ses cheveux de soleil éteints sous des pluies de cendres. Et, vers minuit, elle était toujours là, près du lit de mort qu’elle semblait ignorer, dans cette chambre frissonnante où elle s’oubliait, telle qu’une chose, en paraissant même ne plus savoir pourquoi on l’y avait conduite.

Ni Mathieu ni Boutan n’avaient voulu s’éloigner, décidés à passer la nuit, pour ne pas laisser Constance seule avec la vieille bonne, pendant que Monsieur était à Nice, en compagnie de ces dames, la tante et la nièce. Et, vers minuit, comme ils causaient à voix basse, ils furent stupéfaits d’entendre Sérafine, après un silence de trois grandes heures, ouvrir enfin la bouche.

« Vous savez qu’il est mort. »

Qui donc était mort ? Ils comprirent enfin qu’elle parlait de Gaude. En effet, on venait de trouver le célèbre chirurgien sur un divan de son cabinet, foudroyé par une