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dans cette terrible obscurité où son doute avançait à tâtons ; et, laissant Denis tout régler en bas, il voulut monter près de Constance.

Mais, en haut, comme Mathieu allait prendre le couloir de communication, il s’arrêta encore, près du monte-charge. Il y avait quatorze ans, c’était bien là que Morange, trouvant la trappe ouverte, était descendu prévenir, tandis que Constance disait être rentrée tranquillement chez elle, au moment où Blaise, arrivant du fond de la galerie obscure, tombait au gouffre. Et ce récit que tous avaient fini par accepter, il en sentait maintenant le mensonge, il se rappelait les regards, les mots, les silences, il était envahi d’une brusque certitude, faite de tout ce qu’il n’avait pas compris alors, de tout ce qui prenait à cette heure, une affreuse signification. Cela était certain, bien que cela flottât dans le vague monstrueux des crimes sourds, des crimes lâches, où il reste toujours une ombre d’exécrable mystère. Cela, d’ailleurs, expliquait l’acte, les deux cadavres en bas, autant qu’un raisonnement logique peut expliquer l’acte d’un fou, avec ce qu’il comporte de lacunes et de ténèbres. Et il s’efforça pourtant de douter, il voulait voir Constance.

Au milieu de son petit salon, Constance était restée debout immobile, d’une pâleur de cire. L’attente d’il y avait quatorze ans recommençait, se prolongeait, dans une telle détresse, qu’elle était sans un souffle, pour mieux entendre. Rien encore n’était monté de l’usine, aucune rumeur, aucun bruit de pas. Que se passait-il donc ?

La chose atroce, la chose redoutée n’était-elle donc qu’un vain cauchemar ? Pourtant, Morange lui avait bien ricané dans la face, elle avait bien compris. Un hurlement, un effondrement ne lui était-il pas parvenu ? Puis, maintenant, elle n’entendait plus le ronflement des machines, c’était la mort, l’usine refroidie, perdue pour elle. Soudain, son cœur cessa de battre, lorsqu’elle saisit