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tomba dans l’épouvante effarée de la catastrophe. Depuis le matin, la lettre de Morange l’avait angoissé déjà, tellement elle le surprenait et l’inquiétait avec cette extraordinaire histoire d’Alexandre retrouvé, accueilli chez Constance, introduit par elle dans la maison ; et, bien que la lettre fût très nette, elle offrait de singulières incohérences, de brusques sautes incompréhensibles, qui achevaient de lui étreindre le cœur. Il l’avait relue trois fois, faisant chaque fois des hypothèses nouvelles, de plus en plus sombres, tellement l’aventure lui semblait grosse de confuses menaces. Puis, en arrivant au rendez-vous fixé, voilà qu’il se trouvait en face de ces deux corps sanglants, que Victor Moineaud venait de ramasser et d’étendre côte à côte ! Muet, glacé, il écouta son fils Denis, accouru dans le frisson de mort qui avait arrêté les machines, lui raconter éperdument l’inexplicable malheur, les deux victimes broyées l’une par-dessus l’autre, le vieux comptable maniaque, le jeune homme comme tombé du ciel, que personne ne connaissait Mathieu, lui, avait tout de suite reconnu Alexandre, et, s’il se taisait, si terrifié, si pâle, c’était qu’il ne voulait mettre personne, pas même son fils, dans la confidence, en face des hypothèses encore, des effrayantes hypothèses qui se levaient en lui, de tant de ténèbres. Il écoutait avec une anxiété croissante les quelques constatations certaines, les lampes de la galerie éteintes, la porte de la barrière toujours close, que seul un habitué avait pu ouvrir en tournant le bouton, immobilisé par un secret ressort. Et, brusquement, comme Victor Moineaud lui faisait remarquer que le vieux était à coup sûr tombé le premier, parce qu’une jambe du jeune lui barrait le ventre, il fut violemment reporté de quatorze ans en arrière, il se rappela le père Moineaud, il revit le père ramassant Blaise à cette même place où le fils venait de ramasser Morange et Alexandre. Blaise ! une clarté nouvelle se faisait, un affreux soupçon l’aveugla,