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passer en un souffle d’abîme ? Elle pâlit affreusement, elle eut la sourde prescience d’une revanche effroyable du destin, ce destin qu’elle venait de croire à elle, au moment même. Oui, c’était bien cela. Et elle se retrouva de quatorze ans en arrière, dans ce même salon, elle resta debout, frémissante glacée, écoutant les bruits qui montaient de l’usine, attendant l’atroce fracas de la chute, comme le jour lointain où elle avait écouté et attendu l’écrasement de l’autre.

Cependant, Morange, de son petit pas discret, emmenait Alexandre, causant avec lui d’une voix calme et bienveillante.

« Je vous demande pardon d’aller en avant, il faut que je vous montre le chemin… Oh ! c’est d’un compliqué, dans une maison comme celle-ci, des escaliers, des couloirs, des détours qui n’en finissent plus !… Vous voyez, maintenant le couloir tourne à gauche. »

Puis, en débouchant dans la galerie ; où régnait une nuit complète, il se fâcha, d’une voix très naturelle.

« Allons, bon ! ils n’en font jamais d’autres, ils n’ont pas encore allumé, et le bouton est là-bas, à l’autre bout… Heureusement, je sais où je mets le pied, depuis quarante ans que je passe par ici. Attention, suivez-moi bien. »

Et, dès lors, il l’avertit à chaque pas de ce qu’il devait faire, il le guida de son air d’obligeance, sans que sa voix cessât d’être égale.

« Ne me lâchez pas, tournez à gauche… Maintenant, nous n’avons plus qu’à marcher tout droit… Seulement, attendez, la galerie est coupée d’une barrière, et il y a une porte. Nous y voici… Vous entendez, j’ouvre la porte… Suivez-moi, je passe le premier. »

Tranquillement, Morange fit le pas, dans les ténèbres, dans le vide. Et, sans un cri, il s’abîma. Derrière son dos, Alexandre, qui le touchait presque, pour ne pas le perdre,