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le gouffre de meurtre où s’était écrasé Blaise, il y avait quatorze ans déjà. Après la catastrophe, pour en éviter le retour, on avait entouré la trappe d’une balustrade, qu’une porte fermait, de sorte qu’une chute devenait impossible, à moins qu’on n’ouvrît volontairement la porte pour culbuter. La trappe était justement baissée, la porte close, et il s’approcha, cédant à une force supérieure, se pencha sur le gouffre, avec un long frisson. Toute la scène s’évoquait, c’était au fond de ce vide effrayant, il revoyait le corps broyé, il se sentait glacé par le même vent de terreur, devant le meurtre certain, accepté, caché. Puisqu’il souffrait tant, puisqu’il ne dormait plus, qu’il avait promis aux deux mortes d’aller les rejoindre, pourquoi donc n’en finissait-il pas ? L’avant-veille encore, accoudé au parapet du pont, il en avait eu l’obsédant désir. Une perte d’équilibre, et il était libéré, couché enfin dans la paix de la terre, entre ses deux femmes. Et soudain, comme si la solution affreuse lui fût soufflée par l’abîme, en sa folie qui tâtonnait, qui s’exaspérait depuis deux jours, voilà qu’il crut entendre une voix l’appeler d’en bas, la voix de Blaise, criant : « Viens avec l’autre ! Viens avec l’autre ! » Un grand tressaillement le redressa, la décision de l’idée fixe l’avait frappé en coup de foudre. C’était, dans sa démence, l’unique solution sage, logique, mathématique, qui arrangeait tout. Elle lui paraissait si simple, qu’il s’étonnait de l’avoir tant cherchée. Et, dès lors, le pauvre homme faible et tendre, le misérable cerveau détraqué fit preuve d’une volonté de fer, d’un héroïsme souverain, aidés par le raisonnement le plus net et la plus subtile des ruses.

D’abord, il prépara tout, mit le cran d’arrêt pour qu’on ne remontât pas la trappe pendant son absence, s’assura également que la porte de la balustrade s’ouvrait et se fermait à l’aise. Il allait, venait d’un pas léger, comme