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paroles, ces paroles qu’il bégayait à demi-voix, hanté, torturé : « Laisserait-il donc s’accomplir ce nouveau crime, sans crier ce qu’il savait ? » C’étaient sûrement ces mots-là, dont il ne pouvait se débarrasser, qui lui avaient fait oublier de mettre ses chaussons, le matin qui l’avaient encore étourdi tout à l’heure, au point de l’empêcher de rentrer à l’usine, comme s’il n’en eût plus reconnu la porte. Et, s’il était maintenant penché sur cette eau, n’y avait-il pas été poussé par l’inconscient besoin d’en finir, par l’espoir instinctif d’y noyer le tourment dont les mots obstinés le bouleversaient ? Là-bas, au fond, les mots se tairaient enfin, il ne les répéterait plus, ne les entendrait plus le forcer à une volonté dont il ne trouvait pas la force. Et l’eau avait un appel très doux, et cela serait si bon de ne pas combattre davantage, de s’abandonner ainsi au destin, en pauvre homme, en faible et tendre cœur qui a trop vécu.

Morange se penchait davantage, sentait déjà le grondement du fleuve le prendre, lorsqu’une voix jeune et gaie, derrière lui, le rappela.

« Que regardez-vous donc, monsieur Morange ? Est-ce qu’il y a des gros poissons ? »

C’était Hortense, grande déjà pour ses dix ans, délicieuse, qu’une femme de chambre menait jouer chez des petites amies, à Auteuil. Et, lorsque le comptable, éperdu, se fut retourné, il resta un instant les mains tremblantes, les yeux mouillés de larmes, devant cette apparition, ce cher ange qui le rappelait de si loin.

« Comment, c’est vous, ma mignonne !… Non, non, il n’y a pas de gros poissons. Je crois bien qu’ils se cachent au fond, parce que l’eau est trop froide, en hiver… Et vous allez en visite, comme vous êtes belle, avec ce manteau garni de fourrure ! »

L’enfant se mit à rire, contente d’être flattée, d’être