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elle les immolait à sa rancune, elle chasserait l’étranger, quitte à y laisser de sa chair. Puis, confusément, ce fils de son mari n’était-il pas un peu d’elle, puisqu’il était de lui, de l’homme dont elle aussi avait accouché d’un fils, l’aîné, le mort ? Et, d’ailleurs, elle ferait sien le bâtard, elle le dirigerait, le forcerait à n’être plus qu’elle, par elle et pour elle.

« Vous voulez savoir à quoi je l’emploierai, dans cette maison ? Je ne le sais pas moi-même… Évidemment, ce n’est pas demain que je trouverai les centaines de mille francs nécessaires. Vos chiffres sont exacts, il est possible que jamais nous n’ayons l’argent du rachat. Pourquoi tout de même ne pas lutter, ne pas essayer ? Et puis, j’admets, nous sommes vaincus, tant pis pour l’autre ! Car je vous promets que, si ce garçon m’écoute, il sera dès lors la destruction, le châtiment vengeur introduit dans l’usine, et qui la fera sauter. »

D’un geste de ruine, au travers des murs, elle acheva de dire son abominable espoir. Parmi ses projets confus, bâtis sur la haine, c’était là sûrement le dernier combat rêvé, si elle perdait les autres, l’emploi du misérable Alexandre comme d’une force destructive, dont les ravages la soulageraient un peu. Et elle en était venue à cette folie, dans le désespoir sans bornes où l’avait jetée la perte du fils unique, desséchée, brûlée de la tendresse qu’elle ne contentait plus, tombée à la démence de sa maternité empoisonnée, pervertie jusqu’au crime.

Morange eut un frisson, lorsqu’elle conclut avec sa rudesse obstinée :

« Il y a douze ans que j’attends un coup du destin, et le voilà !… Plutôt que de n’en point tirer tout ce qu’il m’apporte de chance dernière, j’y laisserai ma vie ! »

C’était la perte de Denis jurée, consommée, si le destin le voulait. Et le vieux comptable eut la vision du désastre, des enfants innocents frappés dans leur père, toute une