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de tout… Dans un an ou deux, je veux qu’il connaisse tout de l’usine, en maître. »

Alors, à ce dernier mot qui l’éclairait, il y eut chez le comptable un brusque réveil de bon sens. L’homme des additions exactes qu’il était resté, au milieu des manies envahissantes où sombrait sa raison, protesta.

« Voyons, chère madame, puisque vous désirez que je vous aide, faites-moi votre confidence entière, dites-moi à quelle besogne nous allons employer ici ce garçon… Vraiment, vous n’espérez pas, grâce à lui, reconquérir l’usine, je veux dire en racheter les parts, redevenir propriétaire et souveraine maîtresse ? »

Et, avec une clarté, une logique parfaites, il démontra la folie de ce rêve, alignant les chiffres, arrivant au total de la somme considérable qu’il faudrait, pour désintéresser Denis, désormais chez lui, installé en vainqueur.

« D’ailleurs, je ne comprends pas bien, chère madame, pourquoi vous prendriez ce garçon plutôt qu’un autre… Il n’a aucun droit civil, vous vous en rendez compte, n’est-ce pas ? Il ne saurait être ici qu’un étranger, et j’aimerais mieux alors un homme intelligent, honnête, au courant de la construction. »

Constance s’était remise à ravager les bûches, à coups de pincettes. Puis, quand elle leva la tête, elle dit d’une voix basse et violente, dans la face de Morange :

« Alexandre est le fils de mon mari, il est l’héritier… L’étranger, ce n’est pas lui, c’est l’autre, ce Denis, ce fils des Froment, qui nous a volé notre bien… Vous me déchirez le cœur, mon ami, et tout mon sang coule avec ce que vous me forcez à vous dire là. » En elle, c’était le cri de l’idée bourgeoise et conservatrice, l’héritage qui devait aller encore plus justement au bâtard qu’à l’étranger. Sans doute, comme elle l’avouait, la femme, l’épouse et la mère, saignaient chez elle, mais