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de la victoire. Au contraire, les événements avaient beau l’accabler de plus en plus, elle se redressait davantage, défiait le sort, tenue debout par la certitude qu’il lui donnerait enfin raison. Et elle demeurait immuable, incapable de lassitude, comptant sur le prodige.

Aussi, chaque jour, pendant les douze années, lorsque Morange vint le soir, le début de la conversation fut-il pareil.

« Rien de nouveau depuis hier, chère madame ?

— Non, mon ami, rien.

— Enfin, quand on se porte bien, c’est le principal. On peut attendre des jours meilleurs.

— Oh ! personne ne se porte bien, on attend tout de même. »

Et voilà qu’un soir, au bout des douze années, Morange, en entrant, sentit l’air du petit salon changé, comme frémissant d’une joie, dans son éternel silence.

« Rien de nouveau depuis hier, chère madame ?

— Si, mon ami, il y a du nouveau.

— Et du bon nouveau, j’espère, quelque chose d’heureux que vous attendiez ?

— Quelque chose que j’attendais, oui ! Ce qu’on sait attendre arrive toujours. »

Il la regardait, surpris, inquiet presque de la voir différente, les yeux luisants, les gestes vifs. Après tant de jours où elle avait paru figée en son deuil, quel désir enfin rempli venait donc de la ressusciter à ce point ? Elle souriait, respirait avec force, soulagée de l’énorme poids qui l’avait écrasée, murée si longtemps. Et, comme il la questionnait sur la cause de ce grand bonheur :

« Mon ami, je ne veux pas encore vous répondre. Peut-être ai-je tort de me réjouir, car tout cela reste bien confus, bien en l’air. Quelqu’un, ce matin, m’a seulement appris certains faits, et il faut que je m’assure des choses, que je réfléchisse surtout… Ensuite c’est à vous