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douze années d’attente vaine, de déchéances successives, ne semblaient pas même avoir entamé la certitude où elle était malgré tout, de triompher un jour. À Chantebled, devant la victoire de Mathieu et de Marianne, ses larmes avaient pu couler, mais elle s’était reprise, elle vivait désormais dans l’espoir qu’un fait inattendu donnerait enfin raison à son infécondité. Elle n’aurait su préciser ce qu’elle souhaitait, elle s’entêtait simplement à ne pas mourir avant que le malheur frappât la famille trop nombreuse, pour l’excuser de son fils dans la tombe, de son mari au ruisseau, de toute l’abomination qu’elle avait voulue et dont elle agonisait. Malgré son cœur en sang, sa vanité de bourgeoise honnête la soulevait d’une furieuse révolte, n’acceptant pas d’avoir eu tort. Et c’était ainsi qu’elle attendait cette revanche du destin dans l’hôtel luxueux, trop grand pour elle, maintenant qu’elle l’occupait seule.

Elle avait dû y restreindre son existence, n’y habiter que les pièces du premier étage, enfermée les journées entières avec une vieille bonne, l’unique servante restée à son service. Vêtue de noir, comme pour porter l’éternel deuil de Maurice, toujours debout, raidie en un silence hautain, elle ne se plaignait jamais, bien que, malade de sourde exaspération, le cœur pris, elle étouffât parfois, en des crises terribles, qu’elle cachait. La vieille bonne s’étant permis un jour de courir chercher le docteur Boutan, elle avait failli la renvoyer ; et elle ne répondait pas au médecin, elle refusait de se soigner, certaine de durer autant que son espoir. Mais quelle angoisse, quand elle étouffait brusquement, toute seule dans la maison vide, sans fils, sans mari, n’appelant personne sachant que personne ne viendrait ! Et, la crise passée, quelle indomptable obstination à se remettre debout, à se dire que sa seule présence empêchait Denis d’être le maître, de régner sans partage, et qu’en tout cas il n’aurait pas l’hôtel, ne s’y installerait pas en vainqueur,