Page:Zola - Fécondité.djvu/671

Cette page n’a pas encore été corrigée

bagages, débordant d’espoirs, n’ayant voulu emporter, en dehors des dix mille francs de la dot, que dix autres mille francs, de quoi se débrouiller d’abord. Et que le courage et le travail fussent donc les solides ouvriers de la conquête !

Mais, surtout, Benjamin, le dernier-né, resta bouleversé de ce départ. Il n’avait pas douze ans, c’était un enfant délicat et joli que les parents gâtaient beaucoup, le croyant faible. Celui-là, ils étaient bien résolus à le garder pour eux, tant ils le trouvaient mignon, avec ses tendres yeux clairs, ses beaux cheveux bouclés. Et il grandissait languissamment, rêveur et adoré, oisif dans les jupes de sa mère, comme la rançon charmante de cette famille si forte et si laborieuse.

« Attends que je t’embrasse encore, mon bon Nicolas… Quand reviendras-tu ?

— Jamais, mon petit Benjamin. »

L’enfant frissonna.

« Jamais, jamais… Oh ! c’est trop long ! Reviens, reviens un jour, pour que je t’embrasse encore.

— Jamais, répéta Nicolas, qui lui-même pâlissait. Jamais, jamais. »

Et il avait soulevé dans ses bras le petit, dont les pleurs ruisselaient maintenant. Et ce fut pour tous la grande douleur, la minute affreuse du coup de hache, de l’éternelle séparation.

« Adieu, petit frère !… Adieu, adieu, vous tous ! »

Tandis que Mathieu accompagnait le conquérant d’un dernier souhait de victoire, Benjamin se réfugia éperdument parmi les jupes de Marianne, aveuglée de larmes. Elle le reprit d’une étreinte passionnée comme saisie de la crainte qu’il pouvait aussi partir. Il ne leur restait plus que lui, dans le nid familial.