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À la ferme, il n’y avait plus de coin pour Nicolas, puisque Gervais et Claire étaient là, tenant la place entière. À l’usine Denis suffisait, régnait en travailleur honnête, sans que rien autorisât un cadet à réclamer un partage. Au moulin, Grégoire s’installait à peine, dans un royaume encore si petit, qu’il ne pouvait céder la moitié de son lot. Et il n’y eut qu’Ambroise dont il finit, pendant quelques mois, par accepter l’offre obligeante de le prendre, à simple titre d’essai, uniquement pour le mettre au courant du haut commerce. La fortune d’Ambroise devenait prodigieuse depuis que le vieil oncle du Hordel était mort en lui laissant sa maison de commission, dont le nouveau maître d’année en année, élargissait les affaires avec tous les pays du globe. Il était en train, par son audace heureuse, par ses larges vues internationales, abattant les frontières, de s’enrichir des dépouilles du monde. Et, si Nicolas étouffa de nouveau dans les vastes magasins d’Ambroise, où s’entassaient les richesses des contrées lointaines, conquises sous les cieux les plus différents, il y entendit enfin sa vocation parler, une voix soudaine l’appela au loin, là-bas, dans cet inconnu des terres immenses, stériles encore, à peupler, à défricher, à ensemencer des moissons futures.

Pendant deux mois, Nicolas ne dit rien de la résolution qu’il mûrissait maintenant. C’était un grand discret, comme tous les grands énergiques, qui réfléchissent avant d’agir. Partir, il le fallait, puisqu’il n’y avait plus, au berceau natal, ni place ni soleil, mais partir seul, n’était-ce pas partir incomplet, infécond, pour l’héroïque besogne de peupler et de défricher une terre nouvelle ? Il connaissait, à Janville, une jeune fille de dix-neuf ans, Lisbeth Moreau, grande, forte, dont la belle santé, l’activité sérieuse l’avaient séduit. Comme lui, elle étouffait dans le coin étroit où l’enfermait le destin, avide de grand air, là-bas, au loin. Orpheline, tombée à