Page:Zola - Fécondité.djvu/663

Cette page n’a pas encore été corrigée

pensée que Chantebled pourrait s’arrondir encore de ses champs, acheva de faire délirer le meunier.

« Votre fils, je l’enverrai au bagne, et vous, si vous ne vous en allez pas, je vous jetterai dehors… Allez-vous-en, allez-vous-en ! »

Très pâle, Mathieu reculait à petits pas, devant ce fou furieux. Et il partit, disant d’une voix calme :

« Vous êtes un malheureux homme. Je vous pardonne, parce que vous voilà dans un grand chagrin. D’ailleurs, je suis bien tranquille, les choses raisonnables finissent toujours par se faire. » De nouveau, un mois se passa. Puis, un matin pluvieux d’octobre, on trouva Mme Lepailleur pendue dans l’écurie de moulin. À Janville, il y eut des gens qui racontèrent que Lepailleur l’avait accrochée. La vérité était que, depuis la mort d’Antonin, elle donnait des signes de mélancolie. D’autre part, la vie de ménage n’était plus tenable, l’homme et la femme se jetaient quotidiennement à la tête le fils mort, la fille partie, s’enrageant l’un contre l’autre, comme deux bêtes abandonnées, enfermée : dans une même cage. On s’étonna simplement qu’une femme si dure, si avaricieuse, eût bien voulu quitter l’existence, sans emporter ses biens avec elle. Dès qu’elle sut la mort de sa mère, Thérèse accourut, reprit sa place près de son père, repentante, ne voulant pas qu’il restât seul ainsi, dans son double deuil. Les premiers temps furent terribles pour elle, en compagnie de ce brutal, exaspéré de ce qu’il appelait sa mauvaise chance. Mais elle était fille de solide courage, de décision prompte. Et, quelques semaines plus tard, elle l’avait fait consentir à son mariage avec Grégoire, l’unique dénouement raisonnable, comme disait Mathieu. Ce fut un grand soulagement à la ferme, où l’enfant prodigue n’osait point reparaître. On croyait savoir que les deux jeunes gens avaient vécu au fond d’un quartier perdu