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depuis des années, fermait une palissade pourrie à la longue par l’humidité. Des planches manquaient, une brèche s’était faite, à l’une des extrémités. Et, tout l’après-midi une maigre fille se tint là, malgré les continuelles averses, enveloppée d’un vieux morceau de châle troué, qui la cachait jusqu’aux yeux, sans doute pour la protéger du froid. Elle devait attendre quelque hasard, l’aumône d’un passant charitable, la débauche d’un rôdeur peu difficile, dans une impatience qui la détachait à chaque minute des planches où elle se rasait, telle qu’une bête à l’affût, allongeant sa mince tête de fouine, guettant là-bas, du côté du Champ-de-Mars.

Les heures s’écoulèrent, trois heures sonnèrent, et des nuages si sombres roulèrent dans le ciel livide, que la fille parut noyée elle-même, une épave jetée aux ténèbres. Parfois, elle levait la tête, regardait de ses yeux luisants le ciel noircir, comme pour le remercier de jeter tant d’ombre, dans ce coin désert de guet-apens. Ce fut alors, au moment où recommençait un déluge, qu’une dame s’avança, vêtue de noir, toute noire sous un parapluie ouvert. Elle marchait vite, elle évitait les flaques, en personne pressée qui fait ses courses à pied, afin d’épargner l’argent d’une voiture.

De loin, Toinette dut la reconnaître, à quelque signalement précis. C’était Mme Angelin, qui se hâtait, venant de la rue de Lille, courant chez ses pauvres, avec la chaînette de son petit sac passée à son poignet. Et, lorsque la fille vit scintiller l’acier de cette chaînette, elle ne douta plus, elle eut un sifflement léger. Aussitôt des cris, des plaintes s’élevèrent d’un coin obscur du terrain vague, tandis qu’elle-même se mettait à gémir, en jetant des appels lamentables.

Étonnée, troublée, Mme Angelin s’arrêta.

« Qu’avez-vous donc, mon enfant ?