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l’usine, bien qu’elle l’eût tué. Elle s’était trompée, il avait beau être mort, il aurait l’usine. Elle en avait tué un, de ces Froment, mais il en renaissait un autre. Quand un mourait, un autre bouchait la brèche. Et son crime lui apparut alors d’une telle inutilité, d’une telle stupidité, qu’elle en restait abêtie, le poil de sa nuque hérissé, suant la peur, reculant comme devant un spectre.

« C’est un avis pour les ouvriers, répétait Beauchêne. Nous le collerons à la porte. »

Elle voulut être brave, s’approcha, dit à son mari :

« Fais donc cela toi-même. Pourquoi, en un tel moment donnes-tu cette peine à Blaise ? »

Elle avait dit Blaise, son horreur froide la reprit. Inconsciemment, elle s’était entendue, là-bas, dans l’antichambre. « Blaise ou ai-je donc mis mon boa ? » Et c’était Denis qui le lui avait apporté. À quoi bon avoir tué Blaise, puisque Denis était là ? quand la mort fauche un de ces soldats de la vie, il y en a toujours un autre, pour prendre la place de combat restée vide.

Mais une dernière défaite l’attendait. Marianne et Mathieu reparurent, tandis que Morange, saisi d’un besoin d’agitation, allait et venait, piétinait de son air hébété, dans le désarroi des douleurs atroces, des choses sans nom qui achevaient de détraquer son crâne étroit de pauvre homme.

« Je vais descendre, bégaya Marianne, tâchant d’essuyer ses larmes, s’efforçant de se tenir debout. Je veux voir Charlotte, la préparer, lui dire le malheur… Moi seule saurai trouver les mots, pour qu’elle n’en meure pas, avec le pauvre petit qu’elle porte. »

Plein d’inquiétude, dans son bouleversement, Mathieu la retenait, désireux de lui éviter cette épreuve nouvelle.

« Non, je t’en prie. Denis descendra, ou bien j’irai moi-même. »