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« Tiens ! avait repris Beauchêne, il croyait t’avoir priée de ne pas t’éloigner, de rester là, en faction.

— En tout cas, pas un mot ne m’en est parvenu, répondit-elle sèchement. Voyons, s’il m’avait demandé cela, est-ce que j’aurais bougé ? »

Et, se tournant vers le comptable, elle osa le regarder à son tour, de ses yeux pâles.

« Rappelez vous, Morange… Vous êtes descendu comme un fou, vous ne m’avez rien dit, et j’ai continué mon chemin. »

Sous ces yeux pâles, qui entraient dans les siens, d’une dureté d’acier, il fut pris d’une véritable peur. Toute sa faiblesse revenait, sa lâcheté de cœur tendre et docile. Pouvait-il l’accuser d’un forfait si atroce ? Il vit les suites inacceptables. Puis, lui-même ne savait plus, sa pauvre tête de maniaque se perdait. Il bégaya :

« C’est bien possible, j’aurai cru parler… Enfin, c’est ainsi, puisque ça ne peut pas être autrement. »

Il retomba dans son silence, avec un geste d’immense lassitude. C’était la complicité voulue, acceptée. Un instant, il eut le désir de se lever, pour voir si Blaise respirait toujours. Puis, il n’osa pas. Dans la pièce, une grande paix s’était faite.

Ah ! quelle angoisse, quelle torture, dans le fiacre, lorsque Denis ramena Mathieu et Marianne ! Il ne leur avait parlé d’abord que d’un accident, une chute assez grave. Mais, à mesure que la voiture roulait, il s’était affolé lui-même, pleurant, avouant, devant leurs questions désespérées. Et, quand ils arrivèrent enfin à l’usine, ils n’eurent plus de doute, leur enfant était mort. On venait d’y arrêter le travail, ils se rappelèrent leur visite, au lendemain de la mort de Maurice. C’était dans la même immobilité, dans le même silence de tombe qu’ils rentraient. Toute la vie grondante avait cessé d’un coup, les machines refroidies et muettes, les ateliers assombris et déserts. Plus un bruit,