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l’air saisi simplement par la soudaineté de la catastrophe.

Dans la chambre, cependant, la manœuvre venait d’être exécutée, et les porteurs, bouleversés, se retiraient. Tout de suite, en bas, dès l’accident, on avait dit au père Moineaud de sauter dans une voiture de courir chez Boutan, pour le ramener, avec un chirurgien, s’il en pouvait trouver un, en route.

« Je l’aime mieux là que dans le sous-sol, tout de même, répétait machinalement Beauchêne, devant le lit. Il respire toujours, tenez ! voyez en ce moment, c’est très sensible… Qui sait ? Boutan va peut-être le tirer d’affaire. »

Mais Denis ne se faisait point d’illusion. Il avait pris, dans ses mains, une des mains molles et froides de son frère, et il la sentait bien redevenir une chose, comme brisée elle-même, arrachée de la vie, dans la chute. Un instant encore, il resta là, contre ce lit de deuil, immobile, avec l’espoir fou que son étreinte donnerait au mourant un peu du sang de son cœur. Ce sang, ne leur était pas commun ? Leur fraternité jumelle ne l’avait-elle pas bu à la même source ? C’était la moitié de lui qui allait mourir. En bas, après un cri d’affreuse détresse, il n’avait plus rien dit. Et, tout d’un coup, il parla.

« Il faut aller chez Ambroise prévenir ma mère et mon père.

Puisqu’il respire encore, ils arriveront assez tôt pour l’embrasser peut-être.

— Veux-tu que je coure les chercher ? offrit complaisamment Beauchêne.

— Non, non ! merci, j’avais d’abord voulu vous demander ce service, mais j’ai réfléchi, il n’y a que moi qui puisse dire à maman l’horrible chose… Qu’on attende aussi pour Charlotte. Nous verrons tout à l’heure, quand je serai revenu… Et que la mort veuille bien patienter un peu, pour que je le retrouve, mon pauvre frère ! » Il s’était penché, il baisa Blaise immobile, les yeux clos,