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Il la quitta, avec des gestes éperdus, retourna sur le palier, où on entendit sa voix grelottante qui reprenait :

« Doucement, doucement… Méfiez-vous de la rampe. »

Le convoi lugubre entra dans le salon. On avait couché Blaise fracassé sur une civière garnie d’un matelas. Denis, d’une pâleur de linge, suivait, soutenant l’oreiller où posait la tête de son frère, les yeux clos, un filet de sang au front ; tandis que quatre hommes, quatre ouvriers de l’usine, étaient aux brancards. Les gros souliers écrasaient le tapis, des meubles frêles furent bousculés, pour ouvrir un passage, dans cette invasion d’horreur et d’effroi.

Beauchêne, qui continuait à commander la manœuvre, eut une idée, au milieu de son effarement.

« Non, non, ne le laissez pas là… Il y a un lit, dans la chambre d’à côté… Nous allons le soulever doucement avec le matelas, et nous poserons le tout sur le lit. » C’était la chambre de Maurice, c’était le lit où Maurice était mort, et que Constance, par dévotion maternelle, avait gardé intact, consacrant la pièce à la mémoire de son fils, telle qu’il l’avait quittée. Mais que dire ? Comment empêcher que ce Blaise n’y mourût à son tour, tué par elle ?

L’abomination de cela, le destin vengeur qui voulait ce sacrilège, l’emplit d’une telle révolte, qu’elle en fut comme fouettée, tenue debout, au moment où elle sentait le parquet fuir, un vertige l’abattre. Et elle se montra extraordinaire de force, de volonté, d’insolent courage. Quand le blessé passa devant elle, son petit corps maigre se raidit, sembla grandir. Elle le regarda, elle n’eut, dans sa face jaune, immobile, qu’un battement des paupières, qu’un tic nerveux involontaire, au coin gauche de sa bouche, qui la lui tira en une légère grimace. Et ce fut tout, et elle fut de nouveau parfaite de geste, de voix, faisant et disant le nécessaire, sans se prodiguer,