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elle se hâtait tant de rentrer à l’usine, ce jour-là, saisissant l’occasion d’y être seule avec Morange, certaine de le forcer aux confidences, en l’absence des patrons.

À peine prit-elle le temps d’ôter ses gants et son chapeau. Elle le trouva dans son bureau étroit, assis à sa place immuable, penché sur l’éternel registre, grand ouvert devant lui.

« Tiens ! dit-il étonné, c’est donc fini déjà, ce baptême ? »

Tout de suite, elle conta les choses en les arrangeant, pour servir de transition.

« Mais oui. C’est-à-dire que je suis revenue, moi, parce que j’avais un mal de tête fou. Les autres sont restés là-bas… Alors, comme nous voilà seuls ici, j’ai pensé que ça me ferait du bien de causer un peu avec vous, mon ami. Vous savez à quel point je vous estime… Ah ! je ne suis pas heureuse, pas heureuse ! »

Elle était tombée sur une chaise, suffoquée par les larmes qu’elle contenait depuis si longtemps, devant le bonheur des autres. Bouleversé de la voir ainsi, sans force lui-même, il voulait appeler la femme de chambre, dans la crainte qu’elle ne se trouvât mal. Mais elle l’en empêcha.

« Je n’ai plus que vous, mon ami… Tout le monde m’abandonne tout le monde est contre moi. Je le sens bien, on me ruine, on travaille à ma perte, comme si je n’avais déjà pas tout perdu, en perdant mon enfant… Et, puisque vous me restez seul, vous qui savez ma torture, vous qui n’avez plus de fille, soyez avec moi de grâce ! dites-moi la vérité. Au moins, je pourrai me défendre. »

En l’entendant parler de sa fille, il s’était mis à pleurer avec elle. Et elle pouvait le questionner maintenant, il répondrait, dirait tout, anéanti dans cette douleur commune qu’elle venait d’évoquer. Il lui apprit donc