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si elle se hâtait de rentrer, avant que les trois hommes fussent là, elle pourrait voir Morange seul dans son bureau, le faire causer, savoir bien des choses. Évidemment, lui, le comptable, connaissait le traité d’association, même si ce traité n’était qu’à l’état de projet. Et elle se passionna, brûla dès lors d’être arrivée, certaine d’obtenir les confidences de Morange, dont elle croyait pouvoir disposer à sa guise.

Comme la voiture filait sur le pont d’Iéna, elle regarda par la portière.

« Mon Dieu ! que cette voiture est lente !… S’il pouvait pleuvoir cela me soulagerait peut-être un peu la tête. »

Elle songeait qu’une violente averse lui donnerait plus de temps, en arrêtant les trois hommes sous quelque porte cochère. Et, devant l’usine enfin, elle fit arrêter, sans même reconduire sa compagne jusqu’au pavillon.

« Ma chère, vous m’excusez, n’est-ce pas ? Vous n’avez qu’à tourner le coin de la rue.

Charlotte, souriante, affectueuse, lui prit la main, la garda quelques secondes dans la sienne, lorsqu’elles furent toutes deux descendues.

« Sans doute, et merci mille fois. Vous êtes trop aimable… Et veuillez prévenir mon mari que vous m’avez mise à bon port, car il s’inquiète aisément, depuis que me revoilà intéressante. »

Il fallut que Constance sourît à son tour, promît de faire la commission, avec de nouveaux témoignages de tendre amitié.

« Au revoir à demain.

— Oui, oui, à demain, au revoir. »

Il y avait dix-huit ans déjà que Morange avait perdu sa femme Valérie, neuf ans que sa fille Reine était morte. Et il semblait toujours au lendemain de ces catastrophes, dans les vêtements noirs qu’il avait gardés, dans la vie