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qu’ils allaient la recouvrir la nuit. Ils la revoyaient, plus tard, à Paris, si petite encore, accourant le matin, grimpant, envahissant leur lit mis au saccage, avec des rires de conquête. Ils la revoyaient surtout grandie, embellie, à mesure que Chantebled s’agrandissait, comme si elle s’était épanouie elle-même de toute la santé, de toute la beauté de cette terre devenue fertile. Et elle n’était plus, et, quand cette pensée leur revenait qu’ils ne la reverraient jamais plus, leurs mains se cherchaient, se nouaient d’une étreinte affreuse, tandis que, d’une même plaie, de leurs deux cœurs écrasés ensemble, il leur semblait que toute leur vie, que tous leurs jours futurs coulaient au néant. Désormais, la brèche était faite, est-ce que les autres bonheurs n’allaient pas suivre, emportés à leur tour ? Et les dix autres enfants avaient beau être là, depuis le petit de cinq ans jusqu’aux deux aînés de vingt-quatre ans, vêtus de noir, en larmes, autour de la sœur endormie, ainsi qu’un douloureux bataillon qui lui aurait rendu les honneurs funèbres : ni le père ni la mère ne les voyaient plus, ne les comptaient plus, le cœur déchiré, arraché par la perte de celle qui partait, qui emportait de leur chair. Et, dans la grande salle nue, que les quatre cierges éclairaient mal, l’aube se leva sur cette veillée de mort, ce dernier adieu de toute la famille.

Puis, ce fut encore la douleur du convoi se déroulant par la route blanche, entre les hauts peupliers, au milieu des blés verts, cette route que Rose avait si follement montée sous l’orage. Tous les parents, tous les amis étaient venus, tout le pays avait apporte son émotion d’une mort si foudroyante. Aussi le cortège, cette fois, s’allongeait-il réellement au loin, derrière le char drapé de blanc, comme fleuri, dans le clair soleil, d’un buisson de roses blanches. La famille entière avait voulu mener le deuil, la mère elle-même, ainsi que les sœurs, ayant