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autres ; pas un encore n’avait manqué, le soir, à la bonne embrassade qui guérissait de tout. Et voilà que la meilleure partait, la mort venait dire qu’il n’y avait de joie absolue pour personne, que les plus vaillants, les plus heureux ne triomphaient jamais dans la plénitude de leur espérance. La vie n’était pas sans la mort. En une fois, ils payaient leur dette de misère humaine, d’autant plus chèrement, qu’ils s’étaient taillé une plus large part de vie, créant beaucoup pour vivre beaucoup. Lorsque tout germe, tout pousse autour de soi, lorsqu’on a voulu la fécondité sans réserve, l’œuvre d’enfantement continu, quel rappel atroce à l’éternel gouffre obscur, dans lequel s’élabore le monde, le jour où le malheur s’abat, creuse la première fosse, emporte un être cher ! C’est la brusque cassure, l’arrachement des espoirs qui semblaient sans fin, la stupeur qu’on ne puisse vivre et s’aimer toujours.

Ah ! les deux terribles journées qui suivirent, la ferme morte elle aussi, sans autre bruit que le souffle du bétail, la famille entière accourue, anéantie de cruelle attente, brûlée de larmes, tant que le pauvre corps resta là, sous une moisson de fleurs ! Et il y eut cette aggravation de cruauté que, la veille des obsèques le corps, mis en bière, fut descendu dans la salle où l’on avait déjeuné si joyeusement en discutant la façon magnifique dont on la décorerait, pour la grande fête des deux noces. Ce fut là que se fit la dernière veillée funèbre, et il n’y avait pas d’arbuste verts, pas de guirlandes de feuillages, quatre cierges brillaient seuls, des roses blanches se fanaient, cueillies du matin. Ni la mère ni le père ne voulurent se coucher pendant cette nuit suprême. Ils restèrent côte à côte près de l’enfant que la terre leur reprenait. Ils la revoyaient toute petite, à seize mois, dès leur premier séjour à Chantebled, dans l’ancien pavillon de chasse, lorsqu’elle venait d’être sevrée et