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très paisible, très retirée, tout entière à l’éducation de ses deux filles, se trouvait sur la route, la première du village. Depuis huit jours, sa fille aînée, Charlotte, que Blaise avait épousée, était venue s’y installer pour un mois, avec ses deux enfants Berthe et Christophe, qui avaient besoin de grand air ; et, la veille au soir, Blaise lui-même les y avait rejoints, lâchant l’usine jusqu’au lundi, ravi de passer avec eux la journée du dimanche.

C’était une joie pour la cadette, Marthe, lorsque la grande sœur revenait vivre ainsi quelques semaines dans l’ancien nid, amenant les bébés, retrouvant sa chambre de jeune fille, où l’on mettait deux berceaux. Les jeux et les rires d’autrefois recommençaient, la bonne Mme Desvignes ne rêvait plus, dans sa fierté d’être grand-mère, que d’achever sa tâche, si prudemment menée, en mariant Marthe à son tour. Et la vérité était qu’on avait pu croire un instant qu’il y aurait trois mariages à Chantebled, au lieu de deux. Denis, qui, au sortir de son école spéciale, s’était lancé dans de nouvelles études techniques, couchait souvent à la ferme, voyait presque tous les dimanches Marthe, de même âge que Rose, les deux inséparables ainsi qu’on les nommait, et la jeune fille, blonde et jolie comme sa sœur Charlotte mais d’une intelligence plus pratique, d’une raison plus froide, l’avait séduit, au point de le décider à l’épouser, même sans dot, depuis qu’il avait découvert en elle les qualités des compagnes solides, celles qui aident aux grandes fortunes. Seulement, dans leurs causeries d’amoureux, tous deux étaient si sages, si pleins d’une sereine confiance, qu’ils n’éprouvaient aucune hâte, lui surtout, très méthodique, désireux de ne pas risquer le bonheur d’une femme, avant de pouvoir lui offrir une situation certaine. Et voilà comment ils avaient, d’eux-mêmes, ajourné leur mariage, résistant avec de paisibles sourires, aux assauts passionnés de Rose, que l’idée des trois noces à la fois