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en s’installant sur l’étroite banquette, derrière le comptoir. Ah ! quel métier ! Et dire qu’on nous reçoit toujours mal, comme si nous étions des sans-cœur, des criminelles et des voleuses ! »

Elle aussi s’était desséchée, la face hâlée, tannée, telle qu’un bec d’oiseau. Mais elle avait gardé ses yeux vifs, aiguises d’une cruauté rageuse. Sans doute elle ne s’enrichissait pas assez vite, car elle continua ses lamentations, se plaignant du métier, de l’avarice croissante des parents, des exigences de l’Administration, de la guerre qu’on déclarait de toutes parts aux meneuses. C’était un métier perdu, il fallait qu’elle fût abandonnée de Dieu pour le continuer à quarante-cinq ans, sans avoir mis encore des rentes de côté.

« J’y laisserai la peau, je n’y trouverai jusqu’à la fin que peu d’argent, avec beaucoup de mauvaises paroles. Vous voyez l’injustice, je vous rapporte un enfant superbe, et vous n’avez pas l’air content… Vrai, c’est à dégoûter de bien faire ! »

Peut-être aussi sa plainte n’était-elle destinée qu’à tirer de la mercière le plus gros cadeau possible. Celle-ci en fut troublée. L’enfant, sorti de sa somnolence, s’était mis à pleurer très fort. On lui fit avaler un peu de lait tiède. Et, quand on eut réglé les comptes, la meneuse se radoucit, en voyant qu’elle aurait dix francs de pourboire.

Puis, comme elle allait prendre congé :

« Monsieur vous attendait pour une affaire », dit Mme Menoux en montrant Mathieu.

La Couteau reconnaissait parfaitement le monsieur, qu’elle n’avait pourtant pas revu depuis des années. Mais elle ne s’était même pas tournée vers lui, elle le savait mêlé à trop de choses, pour n’être pas d’une absolue discrétion, profitable à ses propres intérêts. Aussi se contenta-t-elle de dire :