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conquête : les grand-mères enceintes encore, les belles-filles allaitant déjà, les fils s’emparant des royautés vacantes. Et elle restait seule, elle n’avait là que son indigne mari, effondré, achevé, tandis que le maniaque Morange, piétinant sans fin, était comme le fantôme de sa détresse, un pauvre homme dont la fille unique, en sa mort affreuse, avait emporté toute l’âme, la force et la raison. Pas un bruit ne montait de l’usine vide et refroidie, l’usine était morte.

Le surlendemain, au convoi, la cérémonie fut imposante. Les cinq cents ouvriers de l’usine suivirent, des notabilités de toutes les classes firent un cortège immense. On remarqua beaucoup qu’un vieil ouvrier, le père Moineaud, le doyen de l’usine, tenait un des cordons du poêle ; et cela fut trouvé touchant, bien que le brave homme traînât un peu la jambe, ahuri dans sa redingote, hébété par ses trente ans de travail. Au cimetière, près du tombeau, Mathieu fut surpris d’être abordé par une dame âgée, qui descendait d’une voiture de deuil.

« Je vois, mon ami, que vous ne me reconnaissez pas. »

Il eut un geste d’excuse. C’était Sérafine, toujours haute et mince, mais si décharnée, si flétrie, qu’elle avait cent ans, telles les vieilles reines déchues des contes. Cécile, la triste opérée, avait eu beau le prévenir, jamais il n’aurait cru à une si rapide destruction de cette insolente beauté rousse, qui défiait l’âge. Quel vent d’effroyable déchéance avait donc passé ?

« Ah ! mon ami, dit-elle encore, je suis plus morte que le pauvre mort qu’on va descendre, là… Venez donc causer un jour. Vous êtes le seul homme, le seul confident à qui je puisse tout dire. »

On descendait le corps, les cordes criaient, il y eut un petit choc sourd, le dernier. Beauchêne, que soutenait un parent, regardait, d’un regard éteint. Constance, qui avait eu l’atroce courage de venir, maintenant épuisée de