Page:Zola - Fécondité.djvu/483

Cette page n’a pas encore été corrigée

lenteur, et Constance entra sans bruit, sans que personne eût conscience qu’elle fût là. C’était un spectre qui sortait de l’ombre, dans la pâle lumière des cierges. Elle n’avait pas encore pleuré, la face livide, contractée, durcie par une rage froide. Comme soulevée d’une furieuse révolte, sa petite taille loin de plier, semblait avoir grandi, sous l’injustice du destin. Pourtant, son deuil, à elle, était sans surprise : elle avait tout de suite senti qu’elle s’y attendait, bien qu’une minute avant la mort, elle se fût entêtée à ne pas y croire. Cela était resté latent depuis des mois, au fond même de ses entrailles, dans un mystère qui éclatait brusquement en une effroyable évidence. Soudain, elle venait d’entendre, de comprendre les chuchotements de l’inconnu, ces petits froids qui glaçaient sa chair, ces regrets vagues et terrifiés de n’avoir pas un autre enfant. Et la menace se réalisait, l’irréparable destin voulait que ce fils unique, ce salut de la maison en péril, ce prince de demain dont son orgueil partagerait l’empire, fût emporté comme une feuille sèche. C’était l’effondrement, elle tombait au gouffre. Et sa pire douleur était la sécheresse où elle restait, cette fureur qui brûlait en elle les larmes, tandis que la bonne mère qu’elle avait toujours été, souffrait l’atroce torture d’une maternité exaspérée, empoisonnée par la perte de son enfant.

Elle s’approcha de Charlotte, s’arrêta derrière elle, regardant le mince profil de son fils mort, parmi les fleurs. Et elle ne pleura toujours pas. Lentement, elle contemplait le lit, s’emplissait les yeux du douloureux spectacle, puis les reportait sur le papier comme pour voir ce qu’elle aurait encore de cet enfant adoré, ces quelques traits de crayon, lorsque la terre, le lendemain, le lui aurait pris à jamais. Charlotte, l’ayant sentie derrière son dos, eut un tressaillement, en levant la tête. Elle avait eu peur, elle ne lui parla pas. Toutes deux, seulement,