Page:Zola - Fécondité.djvu/478

Cette page n’a pas encore été corrigée

Le maître mort, elle était morte. Et leur navrement grandit, lorsqu’ils passèrent de l’usine à l’hôtel, au travers de cette absolue solitude, la galerie ensommeillée, l’escalier frissonnant du lourd silence, toutes les portes ouvertes, en haut, comme en une demeure inhabitée, abandonnée depuis longtemps. Dans l’antichambre, ils ne rencontrèrent pas de domestique. Le salon lui-même leur parut vide, à demi obscur, les stores de mousseline brodée baissés complètement, les fauteuils rangés en cercle, ainsi qu’aux jours de réception, lorsqu’on attendait beaucoup de monde. Puis, enfin, ils se trouvèrent en face d’une ombre, d’une figure indécise, qui, debout au milieu de la pièce, marchait à petits pas. C’était Morange, nu-tête, en redingote, accouru dès la terrible nouvelle, venu là ponctuellement, du même air correct qu’il serait venu à son bureau. Il paraissait être chez lui, il recevait, effaré, hébété par cette perte d’un enfant dont la brusque disparition devait lui faire revivre la mort abominable de sa fille. Sa plaie s’était rouverte, il était livide, avec sa grande barbe grise, dans un tel désarroi, qu’il piétinait sans fin, s’oubliant là, faisant sienne toute la douleur épandue.

Quand il eut reconnu les visiteurs, lui aussi eut le mot qui sortait de toutes les lèvres :

« Quel affreux malheur, un fils unique ! »

Il leur avait serré la main, il chuchotait, il expliqua que Mme Beauchêne, brisée, venait de se retirer un moment, tandis que Beauchêne et Blaise s’occupaient, en bas, des détails à régler. Et, reprenant sa marche lente de maniaque, il leur montra du geste la chambre voisine, dont la porte était ouverte à deux battants.

« Il est là, sur le lit où il est mort. On a mis des fleurs, c’est très bien… Vous pouvez entrer. »

C’était, en effet, la chambre de Maurice. On avait fermé les grands rideaux, de façon à faire la nuit complète.