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Ce jour-là, Mme Angelin revint à Janville avec Mathieu. Dans le wagon, où ils étaient seuls, des larmes jaillirent encore de ses yeux, sans cause apparente. Elle s’excusa, elle murmura, comme en un rêve :

« Avoir un enfant et le perdre, ah ! certes, ce doit être une atroce douleur. Pourtant, il est venu, il a grandi, on en a connu, pendant des années, la joie unique, infinie.. Mais quand l’enfant ne vient pas, jamais, jamais… Ah ! la souffrance, le deuil, tout plutôt que ce néant ! »

À Chantebled, Mathieu et Marianne fondaient, créaient, enfantaient. Et, pendant les deux années qui se passèrent, ils furent de nouveau victorieux dans l’éternel combat de la vie contre la mort, par cet accroissement continu de famille et de terre fertile qui était comme leur existence même, leur joie et leur force. Le désir passait en coups de flamme, le divin désir les fécondait, grâce à leur puissance d’aimer, d’être bons, d’être sains, et leur énergie faisait le reste, la volonté de l’action, la tranquille bravoure au travail nécessaire, fabricateur et régulateur du monde. Mais durant ces deux années, ce ne fut pas sans une lutte constante que la victoire leur resta. Pourtant, elle devenait de plus en plus large et certaine, à mesure que la conquête s’étendait au domaine entier. Les étroits soucis des premiers temps avaient disparu, il s’agissait maintenant de gouverner en toute raison, en toute justice. Au nord, sur le plateau, de la ferme de Mareuil à la ferme de Lillebonne, l’acquisition totale était faite, il n’y avait plus un bouquet de bois qui ne leur appartînt : vaste lot d’environ deux cents hectares, qui ajoutait aux champs de culture voisins, à la mer roulante des blés, un royal parc d’arbres centenaires. Mathieu, en dehors des coupes réglées, ne croyant pas devoir le garder inutile, pour la beauté seule, avait eu l’idée de réunir entre elles, par des avenues, les larges clairières, transformées en pâturage ; et du bétail y fut lâché, tout un élevage,