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l’image de Norine revenait, le ressouvenir vivant de l’enfant, la crainte de quelque nouvelle entente entre les deux hommes. Aussi Mathieu, qui devinait, se mit-il à dire le beau résultat des opérations de Gaude, en contant sa rencontre avec Cécile, puis sa visite à Euphrasie. Ces dames frémirent, bien que Beauchêne, très excité, parût s’amuser beaucoup des détails délicats, qu’il forçait le bon cousin à leur donner. Et, tout d’un coup, la mère eut un cri de délivrance :

« Ah ! voici Maurice ! »

C’était son fils qui rentrait, l’unique dieu en qui maintenant elle mettait sa tendresse, son orgueil, le prince héritier qui serait le roi de demain, qui sauverait le royaume en perdition, qui la hausserait à sa droite, dans une gloire. Elle le trouvait beau, grand, fort, invincible à dix-neuf ans, comme les chevaliers des légendes. Quand il expliqua qu’il venait de transiger avec profit dans une affaire fâcheuse, mal engagée par son père, elle le vit réparer les désastres, remporter des victoires. Puis, elle acheva de triompher, en l’entendant promettre que la batteuse serait livrée avant la fin de la semaine.

« Mon chéri, tu devrais prendre une tasse de thé. Tu te casses trop la tête, ça te ferait du bien. »

Il accepta. Et, gaiement :

« Tu sais qu’un omnibus a manqué tout à l’heure de m’écraser rue de Rivoli. »

Elle devint livide, la tasse lui échappa des mains. Grand Dieu ! son bonheur était-il à la merci d’un accident ? Une fois encore, l’affreuse menace passait, ce froid qui venait elle ne savait d’où et qui la glaçait jusqu’aux entrailles.

« Mais, grosse bête, dit Beauchêne avec son rire, c’est lui qui a écrasé l’omnibus, puisque le voilà qui te raconte l’aventure… Ah ! mon pauvre Maurice, tu as une maman bien ridicule. Moi, qui sais comment je t’ai bâti, tu vois, je suis tranquille. »